La e-réputation des médecins libéraux

La e-réputation est le nom donné à l'ensemble des traces numériques ayant trait à un jugement de valeur concernant une personne morale ou physique. Dans le domaine de la médecine libérale, il s'agit la plupart du temps du médecin lui-même qui ne peut plus échapper à la mise en lumière de son nom sur internet. Même si celui-ci ne possède pas de site web, la simple recherche de son nom sur un moteur fera apparaître un nombre souvent très important d'occurrences multiples, relatives à des annuaires mais aussi des forums, des plateformes de services, des réseaux sociaux qui agrègent un nombre colossal de données.

Issue de la philosophie anglo-saxonne d'internet et du partage libre des données, la mise en ligne d'avis d'utilisateurs ou de consommateurs est devenu une pratique extrêmement courante depuis une quinzaine d'années dans le domaine de la grande consommation, le plus souvent largement encouragé par les sites web de vente en ligne.

Donner un avis et noter une entreprise ou un prestataire s'est par la suite répandu à tous les secteurs d'activités, les hôtels et restaurants ayant été les premiers concernés. Cette notation est directement liée à l'ubérisation de notre économie et à la domination des plateformes de services sur le web qui ont besoin d'un élément « humain » pour compléter leur algorithme de classement purement informatique.

Ainsi, nous pouvons noter notre chauffeur VTC à peu près de la même façon que le dernier film que nous avons vu au cinéma. Le futur nous promet déjà l'extension de cette habitude, avec déjà, l’existence en Chine du crédit social des citoyens, rejoignant en partie la prévision d'un célèbre épisode de la série télévisée anglaise Black Mirror.

Médecin 5 étoiles

Les médecins bien que professionnels réglementés, sont aussi soumis à cette règle. On constate depuis 3 ans le développement fulgurant de la notation en ligne des médecins et les commentaires des patients sur leur praticien sous forme d'avis. Les plus visibles sont bien entendu les avis gérés par Google reliés aux fiches Google My Business mais les avis peuvent aussi se retrouver sur d'autres plateformes comme : Les Pages Jaunes, Yelp, Starofservice ainsi que des sites spécialisés tels Multiesthétique ou Estheticon.

On retrouve également des avis à propos du corps médical sur les grands forums internet comme Au Féminin ou Doctissimo mais aussi sur les réseaux sociaux tels Facebook ou Youtube.

Cette vague de fond irrépressible interroge énormément les médecins qui ont plutôt été abritées du phénomène de notation virtuelle jusqu'à ces dernières années. D'autant qu'une forme de contradiction de base existe avec leur déontologie. Le Conseil de l'Ordre des Médecins rappelant clairement dans sa communication que le médecin

« Ne peut utiliser des exemples ou des témoignages flatteurs de patients » (c.f. Livre blanc déontologie sur le web CNOM 2011).

Qu'en est-il de tous ces avis publiés sur internet concernant un médecin avec des commentaires souvent subjectifs et peu factuels qu'ils soient élogieux ou négatifs. Sont-ils licites ? Peuvent-ils être réglementés ? Lorsque l'on parle de e-réputation, on touche rapidement à la problématique des avis négatifs et au pouvoir légal et technique de maîtriser cette réputation.

D'un point de vue légal

Légalement, un avis sur un médecin posté sur internet est concerné par la déontologie médicale et la loi française.

D'un point de vue ordinal, le médecin ne peut pas utiliser des avis et des témoignages à son propos sur son site web ou sur sa page Facebook professionnelle mais il assiste, impuissant, à l'accroissement de commentaires et de notes sur un nombre toujours plus grands de sites web le concernant.

D’un point de vue légal, la liberté d’expression permet de publier un avis sur le web à propos de son médecin. Mais la loi française reste néanmoins un rempart de protection efficace sur les commentaires dénigrants ou diffamatoires qu'un avocat est en capacité de qualifier facilement.

Tous les sites web qui relèvent de la juridiction française peuvent donc être contactés avec des demandes d'anonymisation, de modération ou de suppression des avis qui, la plupart du temps, sont prises en compte facilement et rapidement. Ainsi les avis déposés sur Les Pages Jaunes, Yelp, Doctissimo ou Au Féminin peuvent être traités efficacement en contactant ces sites web directement.

Le cas des fiches Google

Il est en tout autrement des fameux avis Google. D'ailleurs lorsque l'on parle aujourd'hui de e-réputation pour les médecins, on entend d'abord les avis Google.

Depuis plusieurs années, Google a créé et perfectionné une base de données professionnelle qui rassemble tous les commerces, entreprises et prestataires de services appelée Google My Business. Chaque professionnel ou presque bénéficie d'une fiche le présentant avec sa localisation, son métier, ses coordonnées… Cette fiche existe même si le professionnel en question ne l'a pas sollicitée et ne possède pas de site web. A partir du moment où Google valide par croisement d'autres signaux existants (une fiche sur les Pages Jaunes par exemple) de l'existence d'un professionnel, une fiche Google My Business est créée. C'est ainsi qu'en quelques années une majorité de médecins libéraux ont été fichés sur Google My Business.

Les fiches Google My Business sont rattachées essentiellement à une visibilité locale et bénéficient d'une forte exposition dans les résultats de Google sur les recherches de proximité. Elles sont aussi associées quasi systématiquement aux recherches sur le nom du médecin avec un emplacement très visible en haut des résultats.

La particularité de ces fiches est d'accueillir des avis. Tout internaute ayant un compte Google peut inscrire directement sur la fiche une note sur 5 étoiles et un commentaire éventuel au sujet du praticien.

Modérer et contrôler sa réputation sur sa fiche Google My Business est devenu une mission compliquée. Même si le médecin peut revendiquer sa fiche à l'aide d'un compte gmail permettant de modifier les informations de sa fiche et d'être notifié des avis qui y sont postés, Google ne laisse aucune alternative : ni les avis ni même la fiche ne peuvent être supprimés. Le médecin a uniquement la possibilité de répondre aux avis ou de signaler à Google un avis inapproprié à l'aide d'une procédure fermée, sans détail sur son traitement et qui aboutit rarement.

Les professionnels de l'internet regrettent le bon temps pas si éloigné pendant lequel il était encore possible d'être en contact avec les équipes Google de modération des avis des fiches My Business pour gérer au cas par cas les litiges. Depuis 2 ans maintenant, cette communication n'est plus possible. Et au regard de la loi française et maintenant européenne sur la protection des données personnelles ainsi que du code de bonne conduite ordinal du médecin, la situation des fiches Google My Business contenant des avis devient paradoxale pour plusieurs raisons :

1) Elle trahit souvent le secret médical. Les patients qui témoignent sur leur médecin avec un compte à leur nom révèlent leur identité en public.

2) Elle place d’une certaine façon le médecin en contradiction avec les règles ordinales car si celui-ci revendique sa fiche et répond aux avis, il gère des témoignages sur un outil de sa communication en ligne qui peut être directement relié à son site web personnel.

3) Des avis diffamatoires ou dénigrants, publiés sous pseudonyme, en infraction avec loi française peuvent être publiés sans modération et quasiment sans recours.

4) Aucune information sur le lieu d'hébergement des fiches Google My Business n'est donnée aux utilisateurs et aucune possibilité de recours ou de suppression des données personnelles n'est prévue, en infraction avec la récente loi européenne dite RGPD contrairement à d'autres services de Google comme Gmail ou Youtube.

Face à ces problèmes de réputation sur internet, de nombreux médecins se sentent souvent légitimement désarmés.

Alors que pour la plupart des sites, agir est désormais possible, facilité par les récents progrès législatifs européen, tout recours contre les avis Google est complètement fermé.

D’un point de vue technique : comment se protéger ?

Se tourner vers le Conseil de l'ordre des médecins semble à première vue un réflexe corporatiste naturel. Celui-ci multiplie d'ailleurs les initiatives de communication de bonne conduite concernant la e.santé et les bouleversements gigantesques qui impactent et vont impacter de plus en plus la médecine dans le futur.

Concernant les avis Google, le CNOM communique sur sa prise de conscience du problème et sur l'interpellation effectuée en 2017 des services de la DGCCRF, de la CNIL et du Ministère de la santé.

Le CNOM a mis en ligne en septembre 2018 un guide pratique de la e-réputation, complet et bien réalisé qui permet d’aider les médecins à gérer leur réputation sur internet et aborde l’ensemble des cas de figure pour intervenir face à des informations ou des avis publiés sur les différents types de médias en ligne. Malheureusement la gestion des avis Google n’y trouve aucune solution miracle en dehors de la possibilité visiblement autorisée par le CNOM d’y répondre.

Un recours à la justice pour tenter de forcer Google à supprimer un avis ou une fiche semble la seule possibilité offerte au médecin pour gérer sa e.réputation sur Google My Business. Il est possible que la récente loi Européenne sur la protection des données personnelles dite RGPD (Règlement général sur la protection des données) appliquée depuis mai 2018, permette de faire évoluer la situation. En effet, cette loi oblige tous les sites web de permettre à leurs visiteurs de les contacter facilement pour modifier ou supprimer leurs données personnelles.

Une raison supplémentaire d’appuyer auprès de Google une demande de suppression de ses données personnelles de surcroît hébergées de façon non sollicitée par le moteur de recherche. Faire appel à un avocat sera probablement nécessaire pour agir plus efficacement et plus rapidement.

Certains médecins pourront aussi être tentés de faire appel à des société de e.réputation qui proposent la gestion des avis en ligne et même la suppression des fiches Google My Business en la revendiquant et en changeant complètement leur physionomie. Une technique hasardeuse (le plus souvent facturé au prix fort) sans garantie d’aboutissement et qui ne prémunit pas d’une réapparition à l’avenir.

Enfin, pour les médecins rompus à une présence sur internet au moyen d’un site web de présentation par exemple et qui comptent sur cette visibilité, une éventuelle suppression de leur fiche Google My Business ne constituerait par forcément un bon choix tellement cette fiche bénéficie d’une mise en avant pour toutes les recherches locales relatives à leurs noms ou spécialités. C’est pourquoi la plupart des praticiens, fait dans le pire des cas, contre mauvaise fortune bon cœur avec sa fiche Google My Business, et ce, finalement, quelle qu’en soit la note.

Dans ce cas, la tentation est forte de solliciter les témoignages de patients satisfaits pour faire remonter une notre moyenne abaissée par des avis négatifs. Il faut savoir que cette pratique est interdite par le CNOM surtout si cette pratique fait intervenir une société tierce ajoutant des avis qui ne sont pas les patients du médecin.

Par contre, rien n’interdit le médecin de se retourner contre un patient insatisfait qui aurait publié un avis négatif dénigrant ou diffamatoire pour le sommer de retirer son avis qui enfreint la loi. Encore faut-il que l’avis en question ne soit pas publié sous un pseudo.

Certaines assurances professionnelles travaillant avec les médecins proposent aussi des services de prise en charge de la gestion de la e.réputation avec une approche clé en main faisant appel à des ressources juridiques.

La situation aujourd’hui : la domination des fiches Google dans un climat qui s’apaise

Lorsque les avis sur les médecins ont commencé à être postés de plus en plus fréquemment sur les fiches Google au début de l’année 2017, de nombreux spécialistes ont été choqués de découvrir qu’il était possible de les juger voir les calomnier en quasi toute impunité. D’autant que les premiers patients à déposer un avis étaient plutôt des personnes insatisfaites.
On a vu des médecins tenter des actions contre Google avec une certaine volonté de se regrouper pour agir ensemble. Mais ces velléités sont restées sans suite.

Depuis, les patients satisfaits ont aussi pris l’habitude de déposer des avis venant équilibrer de leurs témoignages positifs d’autres avis négatifs initiaux. L’habitude a été prise par les médecins de voir les avis se succéder sans pouvoir y faire grand-chose générant dans la plupart des cas une moyenne honorable apaisant les situations épidermiques.

Le grand public est plutôt sensible aux avis. La plupart des internautes déclarent lire les avis sur les praticiens avant de les consulter. Mais chacun en connaît aussi les limites et sait se tenir à distance sachant bien que les avis peuvent être de complaisance ou volontairement dénigrants sans fondement.

Enfin, certains médecins ont pris en compte cette évolution importante de leur relation avec leurs patients et on en profité pour en tirer quelques leçons positives de la situation afin d’améliorer par exemple, la gestion des rendez-vous, de l’accueil ou de l'attente au cabinet.

Pour conclure

On le voit, veiller et gérer sa e-réputation pour un médecin représente une tâche non négligeable qui ajoute un surcroît de travail à des agendas déjà souvent bien chargés.

L’utilisation de plus en plus importante d’internet par les patients pour s’informer sur leur médecin, mais aussi à propos des pathologies et des soins, la prise de RDV en ligne qui en découle directement doit néanmoins solliciter la vigilance du médecin sur ces phénomènes qui n’ont pas terminé de bouleverser leur relation avec leurs patients.